Marguerite
Marguerite Joussard, l’emblématique cuisinière du dernier café-restaurant de Saint-Michel.
Quand Louis Joussard revint de la guerre en décembre 1918, après 32 mois de captivité en Allemagne, il trouva sa ferme déserte et sa maison, au hameau de Mon Coeur, vide. Son épouse, Marie, était décédée à 36 ans, en juillet de la même année et la dernière vache avait été vendue pour payer les funérailles. Ses deux enfants, Albert, 8 ans, et Marguerite, 5 ans, avaient été recueillis par leur tante Marie Détroyat, qui tenait une petite épicerie à Saint-Michel.
La victoire de 14-18 était chère payée par la jeunesse et les familles de notre pays et, pour Louis Joussard, qui avait dû repartir à zéro en rachetant deux génisses avec son maigre pécule de prisonnier de guerre, c’était le deuil et la misère ! Tout était à recommencer : il fallait débroussailler les terres, la vigne, les prés et surtout redémarrer la basse-cour et le jardin, indispensables pour la survie de tous les jours.
Aussi, après leur scolarité, Louis Joussard s’empressa de récupérer ses enfants pour reconstituer sa famille. Albert aidait son père pour les travaux des champs et Marguerite était promue maîtresse de maison. Celle-ci se perfectionna rapidement dans son rôle de cuisinière qui la passionnait, d’autant que les repas étaient les seuls instants de bonheur et de convivialité pendant lesquels la famille pouvait se retrouver
De plus, cette entraide familiale avait permis de sortir de la précarité et d’accéder à une certaine aisance, du moins jusqu’en 1949, date à laquelle, à quelques mois d’intervalle, le père et le frère de Marguerite disparurent tous deux après de longues et douloureuses maladies. Dès lors, le travail de la ferme devenait trop lourd pour une seule personne. Aussi, Marguerite ne se laissa pas abattre et utilisa son talent et ses relations pour devenir cuisinière itinérante avec, pour spécialités, les mariages, baptêmes, premières communions et autres repas de famille qu’elle confectionnait au domicile même des habitants de Saint-Michel et des villages environnants.
Puis, dans les années 60, l’unique café du village se trouva vacant et le Conseil municipal et quelques habitants sollicitèrent Marguerite pour prendre la succession de Léon Champon, le propriétaire. Le restaurant « Chez Marguerite » était né. Sa notoriété démarra avec l’organisation du traditionnel repas annuel des maires et conseillers municipaux du canton. Le café continua à servir de rendez-vous le dimanche pour les apéritifs et les parties de belote. C’était le seul endroit du village où les jeunes et les anciens pouvaient se retrouver.
Le restaurant devint en partie un « lieu d’utilité publique » car Marguerite le mit naturellement à disposition non seulement de la mairie pour le repas des anciens, mais également des sociétés locales : sou des écoles, société de chasse, de pêche, etc., qui, à tour de rôle, organisaient les fameux concours de belote pour remplir leur caisse…
Le reste du temps, Marguerite recevait ses clients qui devenaient rapidement ses amis – pour qui elle confectionnait les célèbres grives, bécasses et pintades sur canapé, coqs au vin, civets de lièvres ou de sangliers, truites ou lottes finement mijotées et nombre d’autres spécialités qui ont fait sa renommée et contribué à faire connaître notre village.
Enfin, après plus de 40 ans de bons et loyaux services, si la richesse n’était pas au rendez-vous, avec les années la retraite devenait inévitable et Marguerite se retira dans son appartement de Mon Coeur aux bons soins de ses dévoués voisins. Pourtant, malgré la beauté du panorama, la tranquillité des lieux et les visites de nombreux amis qui ne l’oubliaient pas, elle ne s’est jamais totalement remise de la perte de son restaurant. Elle craignait de se sentir abandonnée et ne supportait pas l’idée d’être inutile.
Par contre, elle ne tarissait pas d’éloges pour tous ceux et celles qui l’entouraient et la « chouchoutaient », disait-elle. Je la croyais indestructible, elle qui me remontait souvent le moral et me rappelait nombre d’anecdotes et d’événements que sa mémoire d’éléphant avait conservés intacts. Mais l’âge et la maladie ne font pas de cadeaux et Marguerite nous a quittés le 30 juin 2007 à 94 ans.
Le 3 juillet, jour de ses funérailles, ses nombreux amis se sont souvenus… Avec sa disparition, c’est une page d’histoire de Saint-Michel qui s’est tournée. Marguerite était une femme de cœur et de caractère, parfois têtue, mais qui a toujours privilégié l’amitié et les contacts humains aux affaires. C’est une figure et une personnalité de chez nous qui manque déjà à ceux et celles qui ont eu la chance de la côtoyer.
Guy COUTURIER – Les gens d’ici, bulletin municipal de Saint-Michel-de-Saint-Geoirs – 3ème trimestre 2007
La Fraternelle redonne vie au restaurant de Marguerite Joussard
Dimanche 9 juin 2024, se tenait l’exposition “Saint-Michel au fil du temps” organisée par La Fraternelle, et qui rendait hommage à Marguerite, iconique cuisinière du dernier bar-restaurant du village.
Pour raviver la mémoire collective et échanger des souvenirs, l’association a reconstitué l’ambiance de son restaurant mythique, avec une table dressée, sa cuisine et son fourneau, ainsi que la table de belote et celle de son bistrot, devenues légendaires.
Une affluence notable pour l’exposition
Maurice Dye, ancien maire, garde un souvenir vivace de cet endroit et de la personnalité bienveillante qui le dirigeait. Joël Mabily, l’actuel maire, ne peut qu’abonder dans ce sens. Enfant, il jouait souvent devant le bistrot en culottes courtes. En grandissant, il a participé aux repas des chasseurs organisés chez « La Marguerite ». Ce bistrot était un lieu de convivialité où l’on venait boire un verre, discuter, et se retrouver.
Le dimanche 9 juin, plus d’une centaine de personnes se sont réunies pour vivre un moment de convivialité, partager leurs souvenirs, et revivre des instants de plaisir et de complicité avec cette femme d’une grande gentillesse. Sa présence a marqué le village de manière indélébile, faisant d’elle une figure irremplaçable.