Saint-Michel au temps des paysans
De la faux à la moissonneuse-batteuse, l’agriculture à Saint-Michel a connu de profondes transformations. Retour sur une époque où le travail de la terre était synonyme de dur labeur, d’entraide et de savoir-faire ancestral.
En 1950, Saint-Michel comptait environ 60 exploitations agricoles. Aujourd’hui, on peut les dénombrer sur les doigts d’une seule main. Les fermes d’autrefois regroupaient divers animaux, permettant aux paysans de vivre en autosuffisance.
Les vaches, qui donnaient chaque année un veau, fournissaient le lait utilisé pour produire beurre et fromages. L’été, elles allaient au pré, mais restaient à l’étable en hiver, nourries de foin récolté durant la belle saison. Elles connaissaient l’heure de la traite et meuglaient pour appeler le fermier. Chaque jour, l’écurie était nettoyée, le fumier évacué, et une nouvelle couche de paille étalée.
On élevait aussi des cochons, engraissés avant d’être sacrifiés pour nourrir la famille.
Dans la cour, les volailles vivaient en liberté. Poules, coqs et canards battaient des ailes et fouillaient le sol. Chaque matin, au cri de « petit, petit ! », une nuée d’animaux accourait pour grappiller les graines jetées à la volée. Le soir, on ramassait soigneusement les œufs dans les nids de la grange.
Les lapins, élevés dans des clapiers, étaient nourris chaque jour de pissenlits et autres verdures soigneusement récoltées. Quelques chèvres, attachées près de la maison et régulièrement déplacées pour brouter de nouvelles parcelles, donnaient un chevreau par an, généralement vendu rapidement. Leur lait servait à fabriquer des fromages.
Les bœufs, puis plus tard le cheval, étaient indispensables pour les travaux dans les champs. Le cheval, en particulier, recevait des soins attentifs et une ration quotidienne d’avoine ou de foin pour compenser ses efforts. Il servait également à transporter la famille en charrette.
Quant au chien, il occupait une place importante à la maison. Toujours vigilant, il avertissait ses maîtres du moindre danger et aidait à conduire les vaches au pré.
À partir des années 1940-1950, les premiers signes de modernité commençaient à émerger, tout en préservant un mode de vie collectif et des traditions fondées sur la simplicité et l’entraide.
Les chemins, pierreux et boueux après la pluie, rendaient le transport des récoltes laborieux pour les chariots en bois, sans suspension, tirés par des bœufs ou des chevaux. Le travail était intense, avec de longues journées, parfois dès l’âge de 14 ans, six jours par semaine, et la retraite n’était prise que très tard.
Les travaux agricoles d’été, comme la récolte des foins, les moissons et le battage des céréales, favorisaient la solidarité et créaient des moments de convivialité collective.
Les foins
Les foins étaient un moment intense de travail à Saint-Michel qui s’étalaient du 15 juin au 14 juillet. Les premières faucheuses mécaniques firent leurs apparition après la Première Guerre mondiale, mais la faux était indispensable pour les près pentus ou les douves. Les agriculteurs veillaient à son entretien, avec l’aiguisage fréquent pour maintenir son tranchant. La journée débutait à l’aube pour éviter les fortes chaleurs. Les faucheurs travaillaient en équipe avec l’aide des voisins.
Une fois séchée après avoir été étalée à la fourche, l’herbe était rassemblée par petits tas à l’aide de gros râteaux et chargée en vrac sur les charrettes qu’il fallait équilibrer habilement et corder (ou ficeler) pour éviter que le « voyage » ne bascule. Le chargement était ensuite « peigné » avec la fourche ou un râteau pour faire tomber les tiges mal fixées.
Plus tard, la mécanisation a largement réduit la durée des fenaisons, et de nombreux pâturages en pente sont désormais laissés à l’état de friche.
Les moissons
Depuis toujours, les moissons représentaient un travail éprouvant. On commençait par faucher à la faux, avant de rassembler les gerbes à la main, puis de battre le grain au fléau pour séparer les graines des épis et des tiges.
Heureusement, dans les années 1930-1940, l’arrivée des premières machines agricoles ont considérablement changé la vie des agriculteurs. Il y avait la moissonneuse-lieuse qui fauchait les tiges des céréales et les liait automatiquement en gerbes. Celles-ci étaient ensuite disposées en meulons de façon à assurer le séchage de la récolte pendant plusieurs jours. Une fois les gerbes bien sèches, venait l’étape du battage.
Les battages des céréales se faisaient à la ferme avec une batteuse en bois, fixe et massive, arrivée la veille pour traiter les gerbes de céréales. Ce travail exigeant, se déroulait dans le bruit, la poussière, et avec une chaudière à vapeur (plus tard à moteur) qui actionnait de grosses courroies pour faire fonctionner la batteuse. Le travail pénible consistait à « engrener » ou enfourner les gerbes dans la batteuse. Ces journées de labeur se déroulaient dans une ambiance conviviale, rythmée par les échanges de plaisanteries et de petites pauses où les travailleurs partageaient du vin local, servi par la maîtresse de maison.
Ce mode de battage, aujourd’hui disparu, a été remplacé par les moissonneuses-batteuses modernes, plus rapides. Toutefois, les souvenirs de la batteuse en bois et de ses traditions perdurent, symbolisant la convivialité d’une époque marquée par le travail collectif et l’entraide dans les fermes.
La Coopérative
La coopérative de Saint-Michel-de-Saint-Geoirs a été fondée en 1947 pour contrer les prix désavantageux imposés par les courtiers et donner aux agriculteurs un meilleur contrôle de la vente de leurs produits. Les agriculteurs se sont réunis pour vendre directement leurs fruits, principalement des pommes, poires et noix, tout en éliminant les intermédiaires. Avec le soutien financier de la Caisse de Crédit Agricole, la coopérative a pu construire des locaux pour faciliter les ventes et entreposer les produits.
En plus de la vente, un organisme d’approvisionnement s’est mis en place pour fournir aux agriculteurs des engrais et des aliments pour le bétail à des tarifs compétitifs. Malgré des débuts prometteurs, la coopérative a dû fermer en 1956, confrontée à des problèmes de financement, à des moyens de conservation insuffisants et à un manque de main-d’œuvre.
La récolte des noix
Seules trois variétés de noix sont autorisées pour la production des Noix de Grenoble : la Franquette, la Mayette et la Parisienne. La récolte a lieu généralement en octobre, lorsque les noix commencent à se détacher naturellement des arbres et tombent au sol.
Autrefois, les agriculteurs ne disposaient pas des machines actuelles. La récolte des noix se faisait entièrement à la main, nécessitant beaucoup de personnel durant cette période, et l’on devait souvent faire appel à des travailleurs saisonniers. Les agriculteurs utilisaient des gaules, de longs bâtons en bois, pour faire tomber les noix des arbres. Ce processus laborieux était aussi dangereux lorsqu’il fallait grimper dans les noyers pour secouer les branches inaccessibles depuis le sol.
Après le pénible ramassage manuel des fruits, les noix étaient triées, nettoyées, puis étalées dans des séchoirs pendant plusieurs semaines. Tout ce travail laissait les mains tachées, du jaune au noir profond, en raison du brou de noix qu’il fallait décortiquer. Les gants en plastique et les rouleaux « ramasse-noix » n’apparurent que bien plus tard.
Une fois sèches, les noix étaient emballées dans des sacs en toile de jute, puis expédiées vers les marchés locaux et les coopératives.
Avec l’industrialisation de la production des noix de Grenoble, les machines agricoles, telles que les secoueurs et les ramasseuses, ont progressivement remplacé le battage à la gaule et le ramassage manuel, permettant de récolter plus rapidement et sans peine. Les séchoirs modernes à générateur d’air chaud en tôle galvanisée ont, quant à eux, réduit le séchage des noix à quelques jours.
Aujourd’hui, cependant, certains agriculteurs de Saint-Michel n’ont pas abandonné le ramassage manuel. En raison des coteaux escarpés du village, seuls des bras agiles peuvent accéder aux terrains en pente et aux talus.
En champ les vaches
Le bonheur est dans le pré !
Durant les vacances scolaires de l’après-guerre, un souvenir marquant reste ancré dans la mémoire de nombreux enfants : la tâche quotidienne d’aller « en champ les vaches ».
Dès l’aube, après la traite manuelle des vaches, le troupeau était rassemblé et conduit à pied sur les chemins et les sentiers vers les prairies. Sur place, les vaches broutaient librement, bien souvent sous la garde attentive des enfants, qui s’assuraient qu’elles ne s’éloignent pas et ne causent pas de dégâts dans les champs voisins. Entre deux pages du « cahier de vacances », un petit « goûter » venait rassasier les petits bergers. L’Angélus de midi marquait le moment de rassembler le troupeau pour rentrer à la ferme.
Cette tradition incarne un mode de vie agricole aujourd’hui disparu.
Les loisirs et fêtes autrefois
Les loisirs s’inscrivent aussi dans la tradition locale : les soirées se passent en veillées ou autour de la radio (TSF), la télévision étant encore rare. Les enfants jouent dans les rues, et en hiver, on se rassemble autour du feu.
La vie suit un rythme dicté par les coutumes, telles que la messe dominicale, les bals, les fêtes religieuses et la tradition du mois de mai, où les jeunes allaient chanter l’arrivée du printemps dans la nuit du 30 avril au 1er mai sous les fenêtres des villageois. Cette tradition était accompagnée de paniers d’œufs offerts par les habitants.
Les conscrits marquaient leur départ pour l’armée et leur passage à l’âge adulte par des célébrations, comme des défilés dans les rues du village, vêtus de tenues particulières et accompagnés d’instruments de musique. De grands repas étaient organisés, suivis du bal.